J'ai toujours rêvé de prendre cette initiative, partir pour ne plus revenir. C'était enfin chose faite, lycée terminé, diplôme en poche, je quittais cette vie qui m'avait toujours tant répugné. De l'enfance à l'adolescence jusqu'à maintenant, je n'ai jamais su, ni réussi à m'intégrer aux gens, c'était chose impossible. Quoi que, dans l'enfance, c'était plus facile, mais en grandissant, une frontière s'est formée entre les autres et moi-même, une barrière infranchissable. Je ne les comprenais pas, ils ne me comprenaient pas. Pourtant, nous vivions à peu près les mêmes choses, nous écoutions et regardions les mêmes choses, mais sous différents points de vues et même les plus proches des leurs, il suffisait d'une ridicule différence pour en être exclu. En grandissant, on doit faire face aux aléas de la maturité ou du moins ce que l'on nous balance. La sexualité premièrement, les gens y voyaient là un concours, celui qui baisera le plus sera le champion de ses dames et adulé de tous ses comparses, quant à la fille, elle sera la pire des salopes. Ensuite, l'expression, il faut réfléchir avant de parler, ne jamais prononcer de mots grossiers, c'est pas très convenable venant de la bouche d'une fille, mais alors quoi servent-ils ? Les relations aux autres, il faut être franc, loyal et agréable, mais au moindre essai, c'est la bâche en pleine tête, on se fait jeter comme une vulgaire guenille. Les règles de politesse disparaissent, la liberté d'expression, de penser et tout le reste ne sont plus que lointains souvenirs, que de mensonges. On vous apprend des choses pour ensuite les corrompre. Enfin, s'en était fini pour moi, après une énième dispute avec ma mère et mon beau-père, particulièrement lui.
- As-tu vu l'heure à laquelle tu es encore rentrée ? Avec qui étais-tu d'abord ? je t'avais donné un couvre-feu, mais tu ne le respectes jamais, de plus, tu me manques de respect devant tout le monde et tu te comportes mal. Je te connais très bien Rose et il va falloir faire quelque chose, ce n'est plus possible, fit ma mère en me regardant d'un regard hypocrite, car en réalité, elle s'en fichait royalement, c'était seulement pour se montrer maîtresse de son monde.
- Tu devr..., commença mon beau-père avant que je l'interrompt.
- Merde, merde, merde ... Mais qu'est-ce que je vous ai fais pour que vous ne me lâchiez pas deux secondes ? En quoi je suis irrespectueuse ? J'en ai marre, cette vie est nase, tout est nase ici, je ne sais même pas comment j'ai fais pour tenir toutes ces années. Vivre là, entouré des plus grands hypocrites qu'il fut donné à Dieu de créer. Merci, mais non.
Pris sur le vif, ils se turent, ce qui fut la meilleure solution finalement. Quand je fus dans ma chambre, je sortis un grand sac et le remplis de vêtements à la hâte, s'en était finis, je quittais la Floride, vie superficielle dans un milieu pas plus aisé que ça. En réalité, ils se crurent des années au-dessus de tous, mais suite à la faillite de l'entreprise de ce gros Martin Fitzgerald, ils se retrouvèrent sans un sou à vendre tout leurs biens à des ventes aux enchères. Au début, ma mère quitta mon père, car celui-ci ne la satisfaisait plus, il était inspecteur de police, mais il abandonna son travail pour se plonger dans l'alcool quand sa femme partit avec son unique fille, le laissant lui et leurs fils seuls, sans rien, même pas un traitre mot de sa part. Je me sentais des fois si coupable de ce qui arrivait, j'avais pourtant onze ans, mais c'était comme si c'était hier. Durant quatre ans, je les revoyais à l'occasion des fêtes, certaines vacances jusqu'au décès de mon père et là, plus rien, je n'avais même plus le droit à un seul coup de fil et pour cela, on déménagea un temps en France, en Bretagne sur la côte pour enfin revenir et s'installer à Miami. J'ai toujours hais cette ville, cet état, tout. J'ai toujours été sujette aux conflits dans mes établissements scolaires, je me fis virer trois fois avant de me retrouver dans un lycée privé, l'enfer.
Quand la voiture fut prête, je partis aussi vite que possible, ne regardant pas derrière moi. Sur la route, j'emmenai Jenny, ma meilleure amie, une grande brune que tout le monde adorait, particulièrement les garçons, mais surtout adorable. Son père était un avocat très connu dans la ville et sa mère était femme au foyer à s'occuper de ses trois enfants, Jenny et ses deux petits frères. Elle était un peu l'exemple à suivre en cours, elle était l'excellence. Elle a toujours pensé que je devrais retourner à Wilmington en Caroline du Nord pour retrouver mes frères, lui rétorquant sans cesse que c'était la pire idée que l'on pouvait avoir, mais elle insistait toujours.
- Allez, fais pas ta rabat-joie, je suis sûre que tu en meurs d'envie. Combien de temps ne les as-tu pas vu ? Trois ans au moins ? Tu ne sais plus ce qu'ils font, leurs têtes t'en souviens-tu au moins ? me lançait-elle à chaque fois pour insister toujours plus sur ma lâcheté légendaire.
- Oui ... oui, bien sûr, enfin ... j'imagine. Cependant, c'est la pire idée que tu peux avoir, on s'est plus vu depuis des années, je ne sais pas où ils vivent et que voudras-tu que je leur disent ? je n'étais même pas là lors de l'enterrement de mon père ...
Et sur ce point, j'avais juste, je n'étais même pas venu à l'enterrement, ayant été prévenue trop tard par ma mère, car voulant m'empêcher d'y aller. De ses propres fils, elle jugeait qu'ils avaient trop mauvaise influence sur moi, mais quoi de plus dur à vivre que de perdre ses frères ? Ceux qui sont censés représenter l'exemple, j'étais malheureusement trop jeune à cette époque pour m'en rendre compte, mais maintenant je le savais.
Sur ce, nous partîmes pour Wilmington. J'étais partagée entre le sentiment de terreur et le soulagement. Comment connaître d'avance leur réaction ? Mais quel joie cela sera ...